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À la lumière des indices géologiques, écologiques (flore et faune) et archéologiques retrouvés sur les sites paléoindiens des Cantons-de-l’Est, il est possible d’émettre une hypothèse sur l’histoire des premiers arrivants dans la région. Pour que cette histoire s’intègre dans celle du peuplement de l’Amérique-du-Nord, il importe de tenir compte des autres indices retrouvés sur le continent. L’hypothèse présentée ci-dessous correspond à ce qui est généralement admis par la communauté scientifique. Elle est divisée en 5 sections :

1. L’arrivée en Amérique du Nord et la légende sur la Béringie

2. La dispersion humaine en Amérique du Nord

3. L'habitabilité des Cantons-de-l'Est à l'aube de la période paléoindienne

4. L’arrivée dans les Cantons-de-l’Est

5. La deuxième vague de migrants

En conclusion, cette hypothèse soulève des questions en suspens.

Carte montrant une portion de la Sibérie, l’Alaska et une portion du Yukon. Les continents sont reliés par une forme nommée Terre exposée. Deux sites Little John et Grottes du Poisson-Bleu sont indiqués par des points rouges.

Passage de la Béringie lors du dernier maximum glaciaire. Emplacement des grottes du Poisson-Bleu et du site Little John au Yukon.

L’arrivée en Amérique du Nord et la légende sur la Béringie

Les premiers humains seraient arrivés par la Béringie, un pont terrestre entre la Sibérie et l’Alaska. L’âge de leur arrivée est encore vivement débattu par la communauté scientifique. Deux tendances s'affrontent : les partisans d'une chronologie courte, rejetant toute date antérieure à 15 000 ans, et ceux d'une chronologie longue s'appuyant sur les dates antérieures, comme celles des os fossilisés provenant de la faune des grottes du Poisson-Bleu au Yukon. Les résultats de la datation au radiocarbone indiquent que les plus anciens datent de 25 000 ans avant aujourd’hui. Certains de ces os fossilisés portent des marques qui laissent croire qu’ils auraient été entaillés par des humains. Cette hypothèse est cependant contestée par de nombreux archéologues. Il pourrait s’agir de l’œuvre de grands carnassiers ou de phénomènes naturels. Pour d’autres scientifiques, ces résultats soutiennent l'hypothèse d'une population humaine isolée qui a persisté en Béringie durant le dernier maximum glaciaire et s'est dispersée vers l'Amérique du Nord et du Sud pendant le retrait des glaciers. Par ailleurs, les outils de pierre retrouvés à côté de ces ossements fossilisés remonteraient à environ 14 000 ans d'après la typologie. Le site Little John, près de Beaver Creek, au Yukon, aurait environ le même âge.


À gauche, une photo d’une pointe de pierre taillée avec une cannelure partant de sa base. À droite, une carte de l’Amérique du Nord avec plusieurs points jaunes qui indiquent les sites où les pointes à cannelure ont été retrouvées, dont une majorité concentrée dans l’est des États-Unis.

Pointe à cannelure de type Clovis et carte présentant les endroits où des pointes à cannelures ont été retrouvées en Amérique du Nord produite par The Paleoindian Database of the Americas (PIDBA).

La dispersion humaine en Amérique du Nord

Le retrait des glaciers a peu à peu ouvert des passages vers le sud. Il y a 14 000 ans, des humains de la Béringie auraient marché entre le glacier et la côte pour peupler les plaines de l’Ouest au sud de l’inlandsis. À partir de 13 500 ans, leurs descendants se seraient dispersés rapidement en Amérique du Nord. Ces premiers Paléoindiens portent le nom de Clovis, du nom de la ville où la première pointe à cannelure a été découverte. Ils amorcent alors une grande migration vers le sud jusqu’au Costa Rica, vers le sud-est jusqu’en Floride et vers l’est jusqu’en Nouvelle-Écosse. Plus de 10 000 pointes Clovis (ou leurs équivalents régionaux) ont été trouvées, réparties dans environ 1 500 endroits en Amérique du Nord. Pourtant, on ne retrouve aucune trace de ces pointes dans les collections d'artéfacts de Sibérie. Les pointes Clovis semblent être une invention nord-américaine, peut-être même la première!


Carte de l’est de l’Amérique du Nord. Il y a un grand lac indiqué et des symboles représentant la végétation il y a 13 000 ans : bosquets d'aulnes verts; toundra arctique, herbeuse et arbustive; épinette noire; chêne rouge; pin gris; tremble; sapin baumier; bouleau blanc.

Géographie de l’est de l’Amérique du Nord à l’aube du Paléoindien, il y a 13 000 ans. La fonte des glaces a créé le Lac à Candona.

L'habitabilité des Cantons-de-l'Est à l'aube de la période paléoindienne

Il y a 13 000 ans, quelques descendants des Clovis se trouvaient autour des Grands Lacs et s’avançaient vers l’est. Ils sont passés au sud de l’immense lac glaciaire à Candona et ont traversé des forêts d’épinettes pour rejoindre les rives de l’océan Atlantique 500 ans plus tard. Dans les Cantons-de-l'Est, la proximité de l’inlandsis et la persistance de glaciers résiduels au Maine, en Gaspésie et dans les Maritimes entretenaient des conditions rigoureuses propices au maintien d’une toundra. L’étude de carottes sédimentaires indique la présence d’herbes et d’arbustes nains aujourd’hui caractéristiques de la zone arctique.


Carte de l’est de l’Amérique du Nord. Au centre, il y a une étendue verdâtre indiquée et des symboles représentant la végétation  il y a 12 250 ans : bosquets d'aulnes verts; toundra arctique, herbeuse et arbustive; épinette noire; chêne rouge; pin gris; tremble; sapin baumier; bouleau blanc.

L’environnement au Paléoindien ancien (13 000 à 11 600 ans avant aujourd’hui) et sites archéologiques de cette période. Le retrait des glaciers a permis la vidange du Lac à Candona et la création de la mer de Champlain.

L’arrivée dans les Cantons-de-l’Est

Pendant la saison estivale, certains Paléoindiens de la Nouvelle-Angleterre partaient vers le nord dans le but d’intercepter le caribou. C’est comme ça que le peuplement des Cantons-de-l’Est aurait commencé. Les Paléoindiens auraient longé la rivière Kennebec et traversé les montagnes frontalières pour s’installer près du lac Mégantic, un des premiers endroits à s’être libéré des glaces au Québec. Le matériel archéologique découvert sur le site Cliche-Rancourt dans la région de Mégantic présente de fortes similitudes avec les assemblages de la Nouvelle-Angleterre, tant sur le plan des formes que des matériaux.


Carte de l’est de l’Amérique du Nord. Il y a plusieurs lacs et des symboles représentant la végétation il y a 10 750 ans : bosquets d'aulnes verts; toundra arctique, herbeuse et arbustive; épinette noire; chêne rouge; pin gris; tremble; sapin baumier; bouleau blanc.

L’environnement au Paléoindien récent (11 600 à 10 000 ans avant aujourd’hui) et sites archéologiques de cette période.

Une deuxième vague de migrants

Il y a environ 11 700 ans, le climat a recommencé à se réchauffer et la déglaciation a progressé. Le recul des glaces et la vidange de lacs glaciaires ont créé de nouvelles portes d’entrées sur le territoire des Cantons-de-l'Est. Ainsi, une deuxième vague de nomades est arrivée en longeant les Grands Lacs. Leurs pointes sont associées à la culture Plano de l’Est, des chasseurs des plaines qui ont dû s’adapter à un milieu de plus en plus forestier. Leurs traces ont été retrouvées sur les quatre sites archéologiques paléoindiens des Cantons-de-l'Est, mais particulièrement sur le site Kruger 2 à Sherbrooke. La présence de pierres de foyer et d’un biface en rhyolithe chauffée sur ce site a permis une datation à l'aide de la technique de luminescence optique. Ainsi, il aurait été fréquenté il y a environ 10 000 ans.


Deux pointes de pierre taillée lancéolées, celle de gauche est large et grise et celle de droite est ocre,  longue et étroite. Il y a une échelle photographique avec des carrés noirs et blancs sous la pointe de gauche.

Pointes de types Agate Basin à gauche et Sainte-Anne-Varney à droite, retrouvées toutes deux sur le site Kruger 2 à Sherbrooke.

Questions en suspens

Le site Kruger 2 présente plusieurs types de pointes du Paléoindien récent taillées dans différentes matières premières. On retrouve deux principaux modèles : les pointes de type Agate Basin, jugées plus anciennes dans l’Ouest, et les pointes de type Sainte-Anne–Varney, jugées plus récentes. En Estrie, la question de leur âge relatif se pose, d’autant plus que le sol a été perturbé et que la stratigraphie ne permet pas de constituer une chronologie relative solide. Est-ce que la présence des deux modèles, fabriqués avec les mêmes matériaux, révèle deux groupes distincts séparés dans le temps ou un groupe fabriquant les deux modèles lors d’une même occupation pour un usage différent? Par exemple, la pointe de type Sainte-Anne–Varney aurait pu être utilisée pour chasser avec un propulseur, tandis que la pointe Agate Basin, plus large et épaisse, aurait été manipulée à la manière d’un javelot. Le débat est ouvert!